Choisir le bon positionnement de gamme pour un vin sur les marchés internationaux : méthode et enjeux

À l’international, la segmentation des vins se structure principalement autour de trois niveaux :

• Entrée de gamme : vins destinés au marché de masse, vendus dans une large distribution, prix bas (<10€ départ cave, fréquemment beaucoup moins à l’export), recherche de volumes importants.
• Moyenne gamme : prix compris, selon les marchés, entre 10 et 30€, positionnement de qualité supérieure, montée en gamme perceptible sur le packaging, les cépages ou l’origine.
• Haut de gamme et premium : vins positionnés à plus de 30€ (et souvent bien plus), mise en avant forte de la rareté, de l’authenticité, et d’éléments d’histoire ou de terroir, distribution sélective ou exclusive.

Selon l’Observatoire mondial du commerce du vin (OIV, 2023), les vins dits « premium » (<40€/bouteille) ne représentent que 3% des volumes globaux échangés, mais jusqu’à 20% de la valeur du marché mondial. À l’inverse, les vins entrée de gamme pèsent pour 70% des flux en volume mais à peine 40% en valeur. Cette dichotomie illustre l’enjeu stratégique du bon choix de gamme : il s’agit de trouver sa place dans un marché hyper-concurrentiel, aux moteurs de croissance différents selon le segment.

Niveau de gamme et cibles varient considérablement selon les marchés. Le succès d’un positionnement dépend largement de la capacité à lire les tendances et attentes locales.

• États-Unis : Premier marché mondial en valeur pour le vin importé, la premiumisation y est très avancée. +21% en valeur sur le segment « premium » en 5 ans (Wine Intelligence, 2023). Cependant, la croissance des ventes de vins à moins de 10€ a ralenti, voire stagné sur plusieurs États.
• Chine : Recul du marché global ces dernières années, mais hyper-croissance sur les niches haut de gamme, notamment sur Bordeaux, Bourgogne et vins australiens de prestige (source : Statista 2024).
• Allemagne et Royaume-Uni : Marchés matures, extrêmement sensibles au rapport qualité/prix. La moyenne gamme domine, avec une forte pression sur les marges.
• Québec et marchés nordiques : Essor continu des vins bio et nature en moyenne et haut de gamme (rapport SAQ 2023).

Adapter son niveau de gamme nécessite donc une lecture fine de la culture de consommation locale : l’Espagne reste très compétitive sur les vins abordables, tandis que la Scandinavie privilégie désormais l’authenticité et la naturalité sur ses gammes intermédiaires et élevées.

Plusieurs étapes structurent la détermination du niveau de gamme, à articuler avec un regard lucide sur ses ressources et ambitions.

1. Évaluation de l’offre produit et de ses forces

• Propriétés organoleptiques : concentration, typicité, potentiel de garde, capacité à se différencier.
• Notoriété du domaine ou de l’appellation : influence directe sur le « pricing power » à l’export.
• Volumes disponibles : suffisent-ils à alimenter les marchés visés, surtout si l’on cible les grandes enseignes ou la restauration haut de gamme ?

2. Étude concurrentielle et analyse de la distribution locale

• Repérage des principaux « benchmarks » : à quel niveau de gamme se situent des vins comparables sur le marché cible ?
• Étudier les offres déjà en rayon ou sur les cartes de restaurants : positionner son prix de sortie export en cohérence avec la structure de prix locale (cf. Vitisphere / Wine Intelligence).
• Identifier les réseaux de distribution pertinents : la grande distribution, l’HoReCa, le e-commerce, chacun impose ses niveaux de gamme et ses attentes de volumes.

3. Calcul de la structure de prix jusqu’au consommateur final

Le passage du prix départ cave au prix public requiert une parfaite maîtrise des marges et coefficients cumulés à chaque étape (transport, droits de douane, taxes, distributeur, etc.).

• Exemple pragmatique : Un vin départ cave à 5€, destiné à l’export, peut se retrouver entre 9 et 14€ selon le pays, après toutes marges et taxes (chiffre : Business France, 2023).

Ce calcul permet de vérifier si le positionnement envisagé reste cohérent avec la réalité du marché local.

4. Approche marketing et storytelling

• Le marketing permet d’ancrer la perception du niveau de gamme (packaging, nom, histoire, supports promotionnels). Un même vin, en repensant son habillage, passe parfois d’un segment à l’autre (cf. les Côtes du Rhône Villages reliftés, source : IWSR).
• Valoriser l’origine, les engagements environnementaux, les éditions limitées : ces éléments trouvent une résonance différente entre des marchés USA, nordiques ou asiatiques.

• Sous-évaluation des coûts d’accès au marché : droits, stocks, marketing local, support commercial. Ces postes, négligés, aboutissent souvent à des marges érodées sur les gammes « abordables ».
• Surestimation de la demande sur les segments premium : tous les marchés n’absorbent pas facilement un énième vin « haut de gamme » sans notoriété forte.
• Uniformisation de l’offre : proposer le même niveau de gamme partout, sans modularité, fait prendre le risque de se heurter à des marchés saturés, ou de sous-exploiter des niches rentables.

• Étudiez les rapports annuels spécialisés : OIV, Business France, Wine Intelligence, IWSR publient régulièrement des analyses marché riches en données et tendances.
• Menez des entretiens qualitatifs : importateurs, distributeurs locaux, sommeliers sont des mines d’informations directes sur la perception de la valeur et les attentes réelles.
• Testez vos prix : pratiquer le « price testing » sur de petites quantités, avant un lancement massif, permet d’affiner la gamme en fonction du retour concret.

• Un vigneron du Languedoc : après un essor sur le marché scandinave grâce à un vin bio d’entrée de gamme (prix départ cave : 3,50€), il convertit une petite vinification en cuvée « parcellaire » racontée, et triple son prix auprès de la SAQ au Québec (source : La Revue du Vin de France).
• Un opérateur bordelais : face à la saturation sur les rouges classiques au Royaume-Uni, il développe une gamme « rosé premium » à packaging innovant et mise sur les réseaux sociaux pour viser l’Australie, où la demande pour le rosé français moderne explose (+17%/an selon Wine Australia).

Déterminer le bon positionnement de gamme à l’international ne s’improvise pas. Il s’agit d’une démarche où il faut articuler données objectives, veilles marketing et adaptations progressives. Les marchés du vin sont en mutation : qu’il s’agisse des contraintes réglementaires, de la montée des enjeux environnementaux ou de nouvelles aspirations consommateurs (proximité, naturalité, rareté), l’agilité et la capacité à repenser ses niveaux de gamme deviennent essentielles.

Les producteurs, négociants ou porteurs de projets qui réussissent à l’export sont souvent ceux qui savent ajuster leurs offres, écouter leurs partenaires locaux et s’outiller pour répondre vite aux évolutions. Au centre de la réussite : la capacité à construire une « proposition de valeur » claire, alignée sur le marché visé, évolutive et assumée.

Sources consultées : OIV 2023, Statista 2024, Wine Intelligence, Business France, IWSR, SAQ Rapport 2023, Wine Australia, La Revue du Vin de France, Vitisphere.