Segmenter efficacement un marché étranger pour réussir la vente de vin à l’international

Dans un contexte d’internationalisation accrue où plus de 45% du vin mondial est exporté (source : OIV, Rapport 2023), les producteurs et négociants de vin doivent composer avec des marchés complexes, hétérogènes et concurrentiels. La segmentation devient alors un outil stratégique décisif. Elle permet de cibler précisément les attentes, usages et comportements d’acheteurs aux profils et cultures multiples, tout en optimisant les ressources investies.

Segmenter, c’est dépasser l’approche “taille unique” pour adopter une vision centrée sur les attentes du consommateur comme de l’acheteur professionnel. Dans le vin, cela peut signifier adapter un même vin à différents circuits de distribution ou communiquer différemment en fonction du pays, du canal ou même de la saisonnalité d’achat.

Avant toute démarche de segmentation, il est impératif de rassembler des informations fiables sur le marché visé. Cela inclut :

• Des données quantitatives : volumes importés, parts de marché par couleur de vin, prix moyens, évolution des tendances de consommation (par exemple, au Royaume-Uni, en 2022, le vin mousseux représentait 23% du marché du vin, contre 11% une décennie plus tôt - source : Wine Intelligence).
• Des études qualitatives : perception des vins étrangers, attentes symboliques (valorisation du terroir, de la rareté, etc.), rituels de consommation, tendances alimentaires (Euromonitor, Kantar).
• L'observation du contexte concurrentiel : liste des principaux importateurs, présence de marques puissantes, typologie des points de vente.
• La réglementation : droits de douane, exigences d’étiquetage, certification, quotas.

Ces données peuvent être acquises via des sources institutionnelles (OIV, douanes, services économiques des ambassades, FranceAgriMer, Vinexpo), des études de marché ou des contacts sur le terrain.

Dans la plupart des secteurs, les critères classiques de segmentation sont sociodémographiques, géographiques, comportementaux ou psychographiques. Le vin ajoute des critères spécifiques, qu’il est important de considérer :

• Critères géographiques et réglementaires (macro-segmentation) : pays/région, climat, accès logistique, zones franches.
• Critères socio-culturels : habitudes alimentaires, culture de la consommation d’alcool, événements festifs nationaux.
• Critères économiques : pouvoir d’achat, typologie des importateurs/distributeurs (gros importateurs vs petits cavistes), sensibilité au prix.
• Critères attitudinaux ou psychographiques : importance accordée à l’origine, à la marque, recherche d’innovation ou attachement aux traditions.
• Critères de consommation : fréquence, occasion, type de vin préféré (rosé, rouge, liquoreux, mousseux), niveau de connaissance du vin.
• Critères canal : grande distribution, CHR (Cafés, Hôtels, Restaurants), e-commerce, clubs ou abonnements.
• Critères BtoB : profils des acheteurs professionnels, exigences logistiques, volumes par transaction.

États-Unis : un marché composite

Le marché américain est le premier importateur mondial de vin en valeur (source : OIV, 2023). Toutefois, il ne présente pas une image homogène. Plusieurs segmentations s’y superposent :

• Régionales : la côte Est (New York, Washington DC) présente une forte consommation de vins européens, tandis que la côte Ouest (Californie, Oregon) favorise la production locale.
• Sociodémographiques : selon des études Nielsen, les “millennials” américains urbains privilégient des vins innovants et abordables, alors que la génération “boomers” valorise la tradition et un positionnement premium.
• Circuits de distribution : la vente directe par e-commerce a connu une croissance annuelle de plus de 13% (2019-2022, Silicon Valley Bank), apportant une segmentation spécifique par canal.

Japon : une segmentation par occasion et symbolique

• Selon l’organisme JETRO, les vins français restent associés à la célébration et à la gastronomie de prestige alors que les vins australiens s’intègrent dans une consommation quotidienne et informelle.
• La segmentation par occasion (“offrir”, “festif”, “quotidien”) se conjugue à une segmentation par influence (femmes urbaines, expatriés, seniors désireux de découvertes).

Allemagne : la sensibilité au prix comme critère principal

• 80% des vins sont achetés en grande distribution (Statista, 2023).
• Le segment des vins premium (plus de 10€ la bouteille) ne représente que 10% du marché, mais il progresse (+5% par an selon Wein+Markt).

1. Définir l’objectif de la segmentation
   • Désigner un segment dans lequel investir en priorité (ex. : e-commerce premium au Royaume-Uni).
   • Adapter sa gamme ou proposition de valeur.
2. Sélectionner les critères déterminants pour son marché
   • Pouvoir d’achat, circuits de distribution dominants, implication symbolique du vin, profils consommateurs.
   • Attention : certains marchés valorisent l’origine (AOC/IGP), d’autres priorisent le rapport qualité/prix (IEVP, 2023).
3. Collecter et analyser les données fiables
   • Combiner les statistiques sectorielles, la veille concurrentielle, des enquêtes terrain (participation à des salons export, dégustations ciblées).
   • Utiliser des outils tels que Wine Intelligence, Euromonitor, études de distributeurs (Maison du Vin, Nielsen).
4. Constituer des profils-types
   • Exemple de personas : “L’urbain trentenaire e-shopper au Royaume-Uni”, “Le caviste indépendant berlinois”, “L’hôtelier haut de gamme chinois”.
   • Enrichir chaque segment avec des comportements d’achat, motivations, attentes, points de contact préférés.
5. Tester l’attractivité et l’accessibilité des segments identifiés
   • Ce segment est-il accessible pour votre logistique et communication ? Est-il suffisamment volumineux et solvable ?
   • Utiliser des indicateurs tels que taux de pénétration potentielle, coût d’acquisition, marge envisageable.
6. Adapter son mix marketing par segment
   • Communication, packagings, argumentation commerciale, politique tarifaire.
   • Veiller à l’adéquation du produit (mentions légales, design, formats) comme de la promotion (canal, langage, saisonnalité).
7. Mesurer, ajuster, itérer
   • Recueillir des retours du marché, ajuster la segmentation aux évolutions du secteur (montée de l’e-commerce, nouvelles tendances alimentaires)
   • S’appuyer sur des KPIs adaptés : progression CA par segment, taux de réachat, retour des distributeurs.

Erreurs courantes

• Recourir à des segmentations de surface, uniquement géographiques ou par âge, sans analyse fine du comportement d’achat.
• Négliger le canal de distribution (ex : cibler la grande distribution sans s’adapter à ses impératifs logistiques et de volume).
• Ignorer les normes culturelles et réglementaires (ex : mentions obligatoires dans certains pays comme le message sanitaire en Russie ou le pictogramme “femmes enceintes” en Asie).
• Sous-estimer l’importance des réseaux pour accéder à certains segments BtoB (ACHAT avec prescripteurs, circuits fermés).

Bonnes pratiques à retenir

• Utiliser l’approche “Test&Learn” sur des segments pilotes pour valider la pertinence avant déploiement large.
• Capitaliser sur les retours terrain de salons, foires et dégustations pour mieux affiner les segments. Les retours qualitatifs post-dégustation sont souvent précieux pour détecter des attentes que les études statistiques ne révèlent pas.
• Construire des stratégies multi-segments pour maximiser l’exposition et limiter les risques.
• Associer chaque segment à un circuit/une posture de marque spécifique : premium en restauration, accessible en retail, innovant en digital.

• Wine Intelligence : études de segmentation consommateurs par profils pays.
• Euromonitor : données sectorielles sur la distribution, la consommation et les circuits.
• FranceAgriMer : études détaillées par marché, veille concurrentielle, réglementaire, innovations.
• OIV : statistiques de production, export, import, tendances globales.
• Institut Européen des Vins et des Paysages (IEVP) : analyses sur la valorisation des AOC, circuits de distribution alternatifs.
• Salons professionnels (ProWein, Vinexpo, etc.) : opportunités de contacts terrains et tests produits directs.

La segmentation d’un marché étranger du vin n’est jamais figée. Avec la montée en puissance du e-commerce, l’influence croissante des plateformes de notation (Vivino compte 60 millions d’utilisateurs dans 195 pays) et le développement de tendances telles que la consommation responsable (Wine Paris 2023 : +18% de vins bio proposés à l’export en 3 ans), les segments évoluent constamment. Les anciens critères (région, prix) sont aujourd’hui complétés par de nouvelles variables : valeurs portées par la marque, positionnement écologique, formats innovants (vin en canette, BIB premium), nouveaux points de contact digitaux.

Ce mouvement impose aux acteurs du commerce international du vin de revoir régulièrement leurs segmentations, d’oser la créativité et de rester attentifs aux signaux faibles, tout en ancrant leur démarche dans la réalité des marchés. À ce prix seulement, la segmentation deviendra un levier de réussite durable sur la scène mondiale.