Évaluer l’image de ses vins à l’export : méthodes concrètes pour être pertinent sur les marchés internationaux

L’ouverture internationale du marché du vin expose chaque producteur à une pluralité de concurrents et d’attentes. En 2023, près de 48% du vin mondial a été exporté selon l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV). Se distinguer ne se joue plus seulement sur la qualité intrinsèque ou l’origine, mais sur la manière dont le marché, les prescripteurs et les consommateurs perçoivent votre produit.

Plusieurs enjeux clés :

• Différencier son offre dans des marchés saturés où de grands acteurs investissent lourdement dans l’image.
• Optimiser les investissements marketing : une image cohérente réduit les investissements non pertinents.
• Éviter les erreurs stratégiques : certains styles de vin ou packagings rencontrent des incompréhensions culturelles notables (par exemple, les habillages de bouteilles très classiques ne communiquent pas de premiumisation dans tous les pays).

Avant toute démarche analytique formelle, il est indispensable de se plonger dans la connaissance du marché cible :

• Analyse comparative : Qui sont les concurrents directs sur ce marché ? Quelles sont les origines valorisées (France, Italie, Chili...)? Les chiffres de Wine Intelligence ou de Statista mettent en avant la montée progressive des vins espagnols sur le marché britannique entre 2020 et 2023, portés notamment par une association consommation/détente.
• Usages et occasions : Le vin est-il consommé au restaurant, lors de grandes célébrations, à domicile ? En Chine, 65% du vin est acheté pour offrir (donnée eComex 2023). Cette dimension influence la valeur attribuée à l’étiquette ou au packaging.
• Symbolique et imaginaires locaux : L’idée du “vin de terroir” n’a pas la même résonance partout. Un argument de “tradition séculaire” sera mieux compris en Allemagne ou au Japon qu’aux États-Unis, où l’innovation séduit la nouvelle génération de consommateurs.

Entretiens individuels et groupes de discussion

Les entretiens exploratoires menés auprès de distributeurs, sommeliers, journalistes spécialisés ou consommateurs influents offrent un éclairage précieux. Ces entretiens durent en général entre 30 minutes et 2 heures.

• Pour les professionnels : comprendre comment votre vin est comparé à d’autres, sur quels critères (prix, image de marque, type de cépage, etc.).
• Pour les consommateurs : recueillir leurs impressions spontanées face à votre vin. Pourquoi l’achèteraient-ils, l’offriraient-ils ? Quelle image l’étiquette projette-t-elle pour eux ?

En Espagne, lors de la stratégie de lancement des vins australiens dans les années 2010, plusieurs focus groups ont révélé l’incompréhension du storytelling “Outback” pour le public espagnol, alors que ce même récit était un levier d’exotisme très performant aux Pays-Bas (source : Wine Business International).

Dégustations à l’aveugle adaptées au marché

Mettre en place des dégustations à l’aveugle avec des panels composés à la fois de professionnels et de consommateurs locaux permet d’objectiver la perception gustative. Il s’agit de :

• Vérifier le positionnement sensoriel de votre vin (puissance, fraîcheur, extraction...)
• Mesurer la capacité du vin à séduire sans le biais de l’origine ou de la marque

Un exemple marquant concerne les vins de Bordeaux en Corée du Sud : des dégustations à l’aveugle organisées en 2021 par Business France Séoul ont mis en évidence que les jeunes consommateurs appréciaient davantage les assemblages fruités peu tanniques, alors que la communication traditionnelle insistait sur les vins structurés et boisés, attirant une clientèle plus âgée.

Enquêtes d’opinion

Pour obtenir des résultats statistiquement fiables, les enquêtes (en face à face, en ligne ou via téléphone) permettent de recueillir beaucoup d’informations :

• Notoriété spontanée et assistée : Où se situez-vous face aux autres vins du pays ? Par exemple, le Baromètre Sopexa sur les vins importés montre que la notoriété spontanée des vins français au Japon est passée de 85% à 78% entre 2015 et 2022.
• Attributs associés à la marque : Quelles valeurs ou impressions principales sont reliées à vos vins ? L’image de “modernité” a fortement progressé pour certains vins chiliens au Royaume-Uni.
• Intention d’achat et de recommandation (NPS)

Monitorer l’e-réputation et l’analyse sémantique

Avec la prédominance des réseaux sociaux et des plateformes d’avis (Vivino, WeChat en Chine, Delectable aux USA), monitorer les mentions, avis et notations devient indispensable.

• Nombre de mentions et tonalité
• Analyse sémantique des commentaires : Quels adjectifs reviennent ? (rafraîchissant, classique, cher, difficile à trouver…)
• Influenceurs locaux : Qui parle de vos vins, et sur quel ton ? Un partenariat annoncé ou une critique d'une figure locale peut changer la perception en quelques jours.

Selon la société Wine Intelligence, 40% des 18-35 ans au Royaume-Uni découvrent de nouvelles marques via Instagram ou TikTok ; chez cette population, l’engagement social sur le produit prime souvent sur le discours traditionnel d’expertise.

L’analyse de perception, pour être pertinente et efficace, s’appuie sur la collaboration avec des acteurs implantés localement :

• Distributeurs : Leur connaissance du marché est précieuse pour détecter des signaux faibles.
• Agences de marketing spécialisées
• Consultants en export

Nouer des partenariats avec ces experts permet d’adapter votre stratégie et d’ancrer votre marque dans les bons réseaux. En Chine, l’appui d’agences pour organiser des événements de dégustation sur mesure et relayer l’expérience sur les réseaux sociaux locaux (Weibo, Douyin) s’est révélé décisif pour des domaines italiens récemment implantés (cf. rapport OIV, 2023).

Il est fréquent d’observer un écart entre le message véhiculé par un domaine (tradition, excellence, innovation, naturalité, etc.) et ce que le marché perçoit concrètement. Plusieurs actions sont possibles :

1. Auditer les supports de communication : brochures, sites web, réseaux sociaux, packaging. Demander à des clients ou prescripteurs locaux de verbaliser ce que chaque image ou message leur inspire.
2. Effectuer des benchmarks concurrentiels, en relevant les codes de communication qui fonctionnent réellement sur place. Une étude UbiFrance Japan (2022) révèle qu’un packaging épuré et une typographie “moderne” rassurent plus les acheteurs urbains japonais, alors qu’en Europe cette pratique est parfois jugée standardisée et impersonnelle.
3. Cross-check entre perception client et vision d'entreprise pour ajuster discours ou habillage (au besoin, via A/B testing piloté localement).

• Taux de réachat : un bon indicateur de satisfaction et d’image durable.
• Niveau de prix accepté vs. attentes du segment ciblé
• Part de marché parmi les importations de catégorie équivalente
• Taux de recommandation (Net Promoter Score, avis clients, bouche à oreille)
• Evolution de la présence dans les points de vente clefs (restaurants premiums, e-commerce spécialisé, GMS haut-de-gamme)

L’OIV note également la progression du segment premium (vins de plus de 10$/bouteille) dans les pays émergents (+12% entre 2019 et 2022) : comprendre où l’on se situe dans cette évolution, au-delà des volumes, devient décisif.

Analyser la perception n’est utile que si elle débouche sur une action : repositionnement, refonte de packaging, changement de discours ou ajustement du style du vin. Il est essentiel de piloter ces transformations par des tests et des suivis réguliers.

• Piloter en continu : Les marchés évoluent vite, et la perception aussi. Instituer un reporting trimestriel sur l’image de marque (enquête rapide, veille web, analyse points de vente) permet de réagir rapidement.
• Valoriser les atouts différenciants réellement captés par le marché et non simplement ceux mis en avant par l’entreprise.
• Éviter le mimétisme : S’inspirer des pratiques du marché sans gommer la personnalité profonde du vin, qui reste un facteur de fidélisation à long terme.

Analyser la perception de ses vins sur un marché international, ce n’est pas céder aux modes mais transformer la connaissance du terrain en levier de différenciation et de croissance pérenne. C’est aussi, pour chaque producteur ou négociant, l’opportunité de tisser un lien fort avec les prescripteurs et les amateurs locaux, en phase avec la réalité de la demande. Les marchés du vin pensent désormais global mais consomment toujours local.